Roland Bourgnon
Gymnase d’Yverdon |
|
Atelier consacré à
Buffon
présenté dans le cadre de la journée Euler
Pourquoi parler de
Buffon aujourd’hui ? Il est contemporain d’Euler mais Linné aussi, qui est
actuellement plus célèbre que Buffon. C’est une visite à la bibliothèque d’Yverdon
cet été qui m’en a donné l’idée. On y trouve effectivement dans le fonds
ancien la collection originale de l’Histoire naturelle, qui fut la grande
œuvre de Buffon, j’ai donc prévu de proposer un atelier ce matin et une
visite à la bibliothèque cet après-midi pour voir ces livres.
Ce matin l’atelier se
déroulera en deux temps : d’abord une présentation de Buffon et de
l’importance de son œuvre, puis une consultation d’un site très documenté où
nous vous demanderons de répondre à un questionnaire pour découvrir sa vie
et son œuvre.
Pour situer Georges
Louis Leclerc Comte de Buffon : quelques informations sur le XVIIIème siècle
et sur sa vie (diapositives 2-5 du montage PowerPoint).
Académie des
sciences : institution scientifique consacrée à la recherche en
mathématiques, astronomie, mécanique, chimie, anatomie et botanique. Buffon
y entrera comme adjoint mécanicien dans la section de mécanique en 1734,
puis dès 1739 il sera transféré dans la section de botanique.
Jardin du roi :
fondée par Louis XIII pour contrer l’enseignement de l’école de médecine
fidèle à la tradition. C’est à la fois une école pour la chimie et la
biologie mais aussi un lieu de collections très importantes.
On demande à Buffon
de faire une description du jardin du roi, cela lui donne l’idée d’écrire
l’Histoire naturelle où il veut peindre toute la nature, ce qui y vit,
expliquer la naissance de la terre et de la vie. Pour réaliser cette œuvre
gigantesque, il s’attachera les services de nombreuses personnes comme
auteurs d’articles, illustrateurs ou encore observateurs de la vie dans
différentes parties du globe. Cela donne une œuvre monumentale de 15 volumes
sur les quadrupèdes, 9 sur les oiseaux et 5 sur les minéraux plus les
suppléments. En plus d’écrire et de s’occuper du jardin du roi, Buffon avait
une forge à Montbard (400 ouvriers) en Bourgogne ainsi qu’une exploitation
forestière. D’autre part pour prouver ce qu’il écrivait il réalisa de
nombreuses expériences pour comprendre par exemple comment la terre a pu se
refroidir au cours de son histoire ou encore quels croisements on pouvait
faire entre animaux.
Qu’écrivait Buffon et
que reste-t-il de ses découvertes aujourd’hui ? Pour ses écrits, je reviens
au titre de l’atelier : scientifique ou poète ? en vous lisant une partie de
son texte le plus célèbre consacré au cheval :
La plus noble
conquête que l’homme ait jamais faite est celle de ce fier et fougueux
animal qui partage avec lui les fatigues de la guerre et la gloire des
combats ; aussi intrépide que son maître, le cheval voit le péril et
l’affronte, il se fait au bruit des armes, il l’aime, il le cherche et
s’anime de la même ardeur ; il partage aussi ses plaisirs, à la chasse, aux
tournois, à la course, il brille, il étincelle ; mais docile autant que
courageux, il ne se laisse point emporter à son feu, il sait réprimer ses
mouvements, non seulement il fléchit sous la main de celui qui le guide,
mais il semble consulter ses désirs, et obéissant toujours aux impressions
qu’il en reçoit, il se précipite, se modère ou s’arrête, et n’agit que pour
y satisfaire
Ce texte prouve la
qualité de l’écriture de Buffon, qui était reconnue à l’époque (Rousseau
par exemple admirait son style) et qui l’est toujours, mais aussi son
regard anthropocentrique et ses nombreuses interprétations qui ont été très
critiquées, ce qui fait que si personne ne conteste le poète, le
scientifique reste lui très discuté. J’aimerais présenter son importance
comme scientifique en montrant avec quelques exemples qu’il nous a ouvert de
nombreux chemins qui ont permis la découverte de notions actuelles en
biologie. |
|
Je commencerai par la
notion d’espèce : « on doit regarder comme la même espèce celle qui au
moyen de la copulation se perpétue et conserve la similitude de cette espèce
et des espèces différentes celles qui par les mêmes moyens ne peuvent rien
produire ensemble ». Cette définition basée sur le critère
d’interfécondité correspond à celle que l’on utilise aujourd’hui. Par contre
il la caractérise aussi par le comportement, les instincts, l’habitat et
s’oppose à la classification linéenne qui met ensemble un animal féroce
comme le lion avec le chat. D’ailleurs dans son livre, il parle de l’homme
puis des animaux domestiques, sauvages de nos contrées, exotiques puis des
singes qu’il classe le plus loin possible de l’homme vu sa ressemblance
« inquiétante » avec Homo sapiens.
On peut trouver ici
un terreau pour l’idée de transformisme que Lamarck explicitera.
Je retiens donc la
notion d’espèce.
Parmi toutes les
espèces, certaines pour lui sont nobles : homme, lion, rhinocéros, les
autres ont subi des « dégénérations », elle sont dues pour lui au changement
de climat, de nourriture. En supprimant la noblesse, en remplaçant
« dégénération » par mutation, on a aussi ici une explication proche de
Darwin, même si Buffon reste réfractaire à toute idée d’évolution des
espèces, il est créationniste en partie pour sa tranquillité.
L’histoire de la
terre, autre sujet hautement sensible vis-à-vis de l’Eglise a été décrite
par Buffon, il a repris le nombre de 7 en partageant en 7 périodes :
première : globe en fusion, puis refroidissement qui ride l’écorce terrestre
(deuxième), dans la troisième tout est recouvert par l’eau dans laquelle se
forment les molécules organiques et les premiers organismes. Dans la
quatrième les eaux se retirent et la vie se développe sur les terres
émergées. Dans la cinquième les animaux apparus d’abord dans les régions
boréales refroidies migrent vers le sud, à la sixième les continents d’abord
réunis se séparent puis enfin l’homme apparaît au cours de la septième. On
retrouve donc le concept de dérives des continents, avec séparation des
espèces qui a donné naissance à la biogéographie. Il fixe aussi un âge à la
terre, mais face aux 6000 mille ans couramment acceptés par l’Eglise, il
n’ose pas assumer la date de son manuscrit (3 millions d’année) et il fixe à
80'000 ans.
On trouve ici la
dérive des continents et les prémisses de la biogéographie.
Pour terminer
l’homme, qu’il doit ranger parmi les animaux pour des raisons matérielles
mais qu’il s’empresse de distinguer par sa raison et son âme immortelle. Les
nombreux écrits de voyageurs lui montrent toute la diversité de l’espèce
humaine mais il reste convaincu qu’originellement il n’y a eu qu’une seule
espèce qui s’est diversifiée par l’influence du climat ou de la nourriture.
Il écrit qu’une personne blanche menée à l’équateur après un certain nombre
de générations pourrait être plus foncée. Pour ces idées on peut le
considérer comme un des pères de l’anthropologie. Par contre cela se gâte en
comparant l’homme du Caucase « vrai et beau » des éthiopiens, mongols ou
lapons qui représentent des blancs dégénérés. Ce qui lui pose un autre
problème, c’est que d’après sa chronologie l’homme noir aurait pu apparaître
avant le blanc, idée évidemment impensable à l’époque car on ne peut
imaginer qu’un esclave soit notre ancêtre.
Il apparaît ici une
notion très importante : un ancêtre commun pour tous les hommes.
On peut donc
souligner le côté fécond de Buffon mais aussi les limites imposées par le
monde où il vivait (représenter une girafe par exemple) et les
contradictions qui ne le dérangeait pas dans ses articles.
A notre époque de
spécialisation poussée à l’extrême, je pense que l’on ne peut qu’être
admiratif face à cette synthèse se réclamant autant de la géologie, de la
physique, de l’astronomie que de la biologie. |
|